Si les “smart services” offrent de nouvelles opportunités pour une gestion plus efficace des flux de matière et d’énergie, ils sont eux-mêmes loin d’être sans effet sur l’environnement. Quel est donc leur bilan écologique ?
Le développement d’une électronique toujours plus miniaturisée, autonome et bon marché a permis l’émergence de « smart services » s’appuyant sur des réseaux capteurs permettant de générer, distribuer et traiter automatiquement de l’information. Ce que ces services ont de « smart » est que cette information peut être utilisée à des fins d’optimisation : obtenir plus d’information sur un système, c’est une occasion de mieux le gérer. Qui dit meilleure gestion, peut aussi dire réduction de l’empreinte écologique du système ainsi géré. Ces technologies permettent déjà par exemple de réduire significativement l’impact de la collecte des déchets ménagers en ville. C’est pourquoi l’on considère généralement ces technologies comme une chance pour le développement durable, un enjeu majeur pour les collectivités locales.
Des processus plus intelligents, mais à quel prix ?
Cette optimisation se fait au prix du d’un déploiement à grande échelle de petits équipements électroniques qui n’est pas sans poser problème. Le déploiement d’un smart service peut nécessiter le déploiement de milliers de capteurs, certains commentateurs n’hésitent pas à parler de millions de capteurs dans le cadre de certaines applications spécifiques.
Or, la toxicité et le volume des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) sont depuis longtemps un sujet de préoccupation publique. Notamment parce que ces déchets se retrouvent bien souvent exportés dans des pays émergeants où ils sont artisanalement recyclés « par des chiffonniers des temps modernes » au péril de leur santé et de leur environnement. Si toutefois les capteurs sont effectivement récupérés sur le terrain une fois leur service accompli. Car la logique d’installation de ces réseaux sous la bannière « deploy and forget » ne laisse que peu de place à une logique de collecte en fin de vie.
Mais les DEEE ne sont que l’un des aspects de l’empreinte environnementale des TIC. La fabrication de semi-conducteurs nécessite des hauts niveaux d’organisation de la matière parmi les plus hautes atteintes par l’Homme. Et, suivant les lois de la thermodynamique, toute création d’ordre se paie par la création d’un désordre plus grand par ailleurs. En d’autres termes, plus les matériaux manipulés sont purs et techniques, plus il a fallu remuer de terre pour extraire les matières premières nécessaires à leur fabrication. De fait, la fabrication de semi-conducteurs est très intense en énergie et matériaux. Par exemple, pour fabriquer une puce de 2 grammes, plus de 1,7 kg de matières premières sont requis. En d’autres termes : seulement un dixième de pourcent de la matière mobilisée pour la fabrication d’une puce se retrouve au final dans cette puce. Le reste, c’est du déchet.
L’aspect « dématerialisé » des TIC cache un découplage entre leurs impacts effectifs et les impacts perçus à leur utilisation. Quel est alors le bilan environnemental de ces technologies « intelligentes » ? Les études ayant jusqu’à présent abordé cette question présentent des conclusions contrastées. Seul consensus existant : ces technologies ne doivent pas être considérées comme « écologiques » a priori. Il semble au contraire que ces technologies semblent naturellement amener à des transferts d’impacts, à un déplacement du problème. D’un côté certains aspects environnementaux du système que l’on veut optimiser s’en trouvent améliorés (par exemple leur consommation énergétique). D’un autre côté, d’autres aspects s’en trouvent dégradés (comme la production de DEEE par exemple).
Trois pistes pour réduire l’empreinte du “smart”
Ces transferts d’impacts ne sont cependant pas une fatalité : une démarche d’éco-conception peut aider à réduire, ou même éviter ces transferts. Eco-concevoir, cela implique en premier lieu de mesurer les impacts d’une solution technologique grâce à une Analyse de Cycle de Vie, seule méthode permettant de dresser un bilan environnemental global d’un système. Ceci implique également de définir des solutions alternatives visant à réduire ces impacts. Trois niveaux de d’action complémentaires permettent d’atteindre cet objectif. Premier niveau : éco-concevoir les capteurs. Par exemple : gérer les capteurs en flux bouclés (réutilisation, remanufacturing), et les concevoir avec une efficience et une autonomie énergétique maximale. Deuxième niveau : éco-concevoir l’infrastructure de capteurs, en choisissant l’agencement des capteurs répondant au juste besoin, permettant ainsi d’utiliser le moins d’équipements possible. Troisième niveau enfin : éco-concevoir l’information. Définir quelle est l’information juste nécessaire permettant à la fois d’optimiser au maximum le système visé et de solliciter au minimum l’infrastructure.
Conclusion : si les avantages environnementaux des « smart environnements » sont réels, ces technologies ne constituent pas pour autant le saint graal du salut environnemental. A contrario, seule une comparaison au cas par cas de leurs avantages et inconvénients ainsi qu’une démarche rigoureuse d’écoconception est à-même de garantir que ces technologies n’apportent pas qu’un simple déplacement du problème qu’elles tentent de résoudre.
Pour en savoir plus :
- Bonvoisin J., 2012. Analyse environnementale et éco-conception de services informationnels. Ph.D. Thesis. Université de Grenoble. ↗
- Bonvoisin J., A. Lelah, F. Mathieux, D. Brissaud. 2014. An integrated method for environmental assessment and ecodesign of ICT-based optimization services. Journal of Cleaner Production, 68:144-154. ↗
Illustration: CC0, asawin, Big Data Connections.